Les pneumopathies interstitielles diffuses fibrosantes progressives (PID-FP) ont récemment été individualisées pour désigner des fibroses pulmonaires ne remplissant pas les critères de fibrose pulmonaire idiopathique (FPI) mais partageant son profil évolutif. Des essais thérapeutiques récents ont montré que les traitements anti-fibrosants limitent cette progression, indépendamment du diagnostic. Dans ces essais les patients ont été inclus sur des critères différents. En effet, il n’existe pas de définition précise de la progression tant sur les critères que sur le délai de l’aggravation clinique et/ou fonctionnelle et/ou de l’imagerie. En dehors de ces études, réalisées chez des patients sélectionnés, il existe peu de données sur les caractéristiques des PID-FP. Les données de 2760 patients inclus dans le registre canadien de fibroses pulmonaires entre 2015 et 2020 ont été présentées lors de la session de
poster TP 026 1.
Les critères de progression retenus sont une aggravation des symptômes respiratoires ou un déclin de la CVF de 10% de la valeur prédite ou une diminution de 5 à 10% de la valeur prédite de la CVF à deux reprises, ou une progression des lésions parenchymateuses pulmonaires sur le scanner thoracique dans les 24 mois suivant le diagnostic. Le délai jusqu’à la progression en fonction du diagnostic a été analysé pour l’ensemble des patients du registre (FPI et non FPI) puis en fonction des diagnostics retenus.
Dans cette cohorte, 1306 (47%) patients ont rempli les critères de progression. L’âge moyen est de 63 ans (+/- 12 ans) et 63% des patients sont anciens fumeurs. Il n’a pas été mis en évidence de différence significative entre les deux groupes (progression ou non) en termes de sex ratio, d’âge, d’ethnie, de tabagisme ou vis-à-vis d’antécédent familial de PID. Les patients remplissant les critères de progression ont une CVF initiale plus basse en pourcentage de la valeur prédite (77+/- 20% versus 81+/- 19%, p<0.0001), des valeurs inférieures de DLCO, exprimée en pourcentage de la valeur prédite, à l’inclusion (58+/-20% vs 63+/-20%, p<0.0001). Une plus faible distance parcourue au test de marche (401+/-124 m versus 392 +/-130m, p<0,002) et la présence d’un reflux gastro-œsophagien sont également associées à la progression.
La répartition des types de fibrose est précisée comme suit : FPI chez 26% (n=725), pneumopathie d’hypersensibilité (PHS) chez 9% (n=216), PID associées aux connectivites (PID-CT) pour 33% (n=904) et PID inclassable (PID-i) dans 20% des cas (n=553).
L’analyse en fonction du diagnostic de la PID montre que 56% des FPI, 55% des PHS, 43% des PID-CT et 47% des PID-i remplissent les critères de progression.
Après ajustement sur la fonction, le sexe et l’âge, le délai de progression n’est pas différent entre le groupe des PHS et celui des FPI (HR 1.07, IC 95% 0.86-1.34). En revanche, les patients avec une PID-CT ou une PID-i progressent significativement moins vite (HR 0.73, IC 95% 0.63-0.84 pour les PID-CT et HR 0.84, IC 95% 0.72-0,95 pour les PID-i).
En analyse multivariée, l’âge avancé, une DLCO inférieure à 75% de la valeur prédite, une CVF inférieure à 70% de la valeur prédite et un antécédent de reflux gastro-œsophagien sont des facteurs indépendants de progression.
Dans une enquête publiée récemment, les pneumologues et les internistes interrogés estiment que 18 à 32% des patients suivi pour une PID hors FPI vont développer une fibrose progressive 2. L’étude du registre canadien montre un taux de progression particulièrement important. Pour les interpréter il sera intéressant de connaitre la prévalence d’une pneumopathie interstitielle commune (PIC) radiologique et/ou histologique dans cette cohorte et les traitements éventuellement reçus. Concernant l’observation d’un profil de progression superposable entre FPI et PHS, il faut se rappeler que le diagnostic de PHS fibrosante est difficile et qu’il existe une mauvaise concordance diagnostique entre les DMD.
La session de controverses D011 3
a soulevé plusieurs questions issues de l’individualisation des PID-FP. Les PID-FP partagent avec la FPI leur profil évolutif mais également des mécanismes physiopathologiques et souvent la reconnaissance d’une PIC. Certains considèrent que la FPI serait le stade le plus évolué, irréversible de toutes les pneumopathies interstitielles diffuses. D’autres ont rappelé que les dernières décennies ont vu un travail considérable pour démembrer, comprendre et classer les PID. Ce travail a permis, le développement d’une recherche importante et l’amélioration de la prise en charge des patients. Les essais récents montrant un ralentissement de la progression des PID-FP par les anti-fibrosants peuvent être des arguments pour regrouper PID-FP et FPI au sein d’une entité commune. Cependant, un profil de progression similaire ne suffit pas à proposer une unique option thérapeutique. En effet, la progression est inhérente aux PID et les patients consultent dans la majorité des cas pour l’apparition ou l’aggravation de symptômes lors de leur prise en charge initiale. Indépendamment de la progression, le diagnostic précis de la PID permet, dans certains cas, de poser l’indication de traitements corticoïdes et/ou immunosuppresseurs ou bien une éviction de la cause, qui peuvent être efficaces. La progression n’étant alors retenue qu’en cas d’échec de cette première stratégie.
La définition de critères de progression propres pour chaque type de PID et associés à la mortalité comme dans la FPI est importante pour établir la stratégie thérapeutique chez ces patients.
Diane Bouvry, Service de pneumologie et Centre de Référence-constitutif Maladies Pulmonaires rares, AP-HP hôpital Avicenne, Bobigny
- D’après la communication de M.Farooqi : Prevalence and characteristics of progressive fibrosing interstitial lung disease: results from the prospective canadian registry for pulmonary fibrosis. Am J Respir Crit Care Med 2021 ;203 : A1833 Session TP026 Diagnosis, assessment, and prognosis of fibrotic ILD ↩
- Wijsenbeek M, Curr Med Res Opin2019 Nov;35(11):2015-2024 ↩
- D’après les communications de : M. Wijsenbeek, IPF is a distinct clinical entity: PRO G. Raghu, IPF is a distinct clinical entity: PRO F.J.Martinez : Treatment of non-IPF progressive pulmonary fibrosis as a single phenotype :PRO A. Wells: Treatment of non-IPF progressive pulmonary fibrosis as a single phenotype: CON Session D011 Conundrums and controversies in diagnosis and management of interstitial lung disease: PRO/CON debates ↩