Aspergillus est un champignon filamenteux de l’environnement colonisant fréquemment les bronches de nos patients atteints de dilatation des bronches (DDB). L’aspergillose broncho-pulmonaire allergique (ABPA) est une cause de DDB et peut également survenir sur une DDB préexistante. La significativité clinique d’entités définies comme ABPA, sensibilisation à Aspergillus (SA) ou bronchite aspergillaire (BA) dans le contexte d’une DDB reste incertaine, notamment du fait de critères diagnostiques régulièrement modifiés, probablement encore imparfaits, et de la réalisation non systématique des tests diagnostiques à disposition. Des données issues du registre européen EMBARC de patients atteints de DDB d’origine non mucoviscidosique ont été rapportées lors de ce congrès et viennent nous éclairer sur ce sujet.
Cette étude visait à étudier l’incidence de réalisation de tests diagnostiques aspergillaires chez les patients inclus dans le registre EMBARC, la signification clinique de leurs résultats et des entités clinico-biologiques pouvant en découler (ABPA, SA, BA), et à comparer les critères diagnostiques d’ABPA existants. Les données des patients inscrits dans ce registre entre 2015 et 2022 et ayant eu des tests diagnostiques aspergillaires (réaction cutanée aux antigènes d’Aspergillus, IgE totales, IgE spécifiques anti-aspergillaires, IgG anti-aspergillaires) ont été exploitées. L’ABPA était définie à l’aide des critères ISHAM modifiés (2021), avec une analyse de sensibilité réalisée à l’aide des critères ISHAM-ABPA (2013). Un taux élevé d’IgE spécifiques anti-aspergillaires ou un test cutané positif sans diagnostic d’ABPA étaient considérés comme une sensibilisation aspergillaire (AS), la présence d’IgG spécifiques anti-aspergillaires élevées sans ABPA définissant les cas de bronchite aspergillaire (AB), avec ou sans AS. Les patients ne répondant à aucune de ces définitions et sans élévation des éosinophiles sanguins formaient le groupe témoin. Les exacerbations et hospitalisations survenues au cours du suivi annuel ont été analysées à l’aide d’une modélisation binomiale négative et une analyse de survie a été réalisée à l’aide d’un modèle de régression à risques proportionnels de Cox avec ajustement sur les facteurs de confusion potentiels (âge, sexe, origine géographique, IMC, diabète, Pseudomonas et score de GOLD).
Parmi 18 792 patients inclus dans le registre EMBARC, 9 953 (53%) ont eu des tests sérologiques pour le diagnostic d’ABPA avec des taux très variables (0% à 94%) à travers l’Europe (entre 51 et 75% en France). Parmi les personnes testées et selon les critères ISHAM Modifiés (2021), 608 (6,1%) avaient une ABPA, 570 (5,7%) avaient une SA, 806 (8,1%) avaient des IgG spécifiques anti-aspergillaires élevées, 184 (1,8%) présentaient une AS et des IgG spécifiques anti-aspergillaires élevées et 619 (6,2%) avaient un nombre élevé d’éosinophiles sans « maladie » liée à Aspergillus. En utilisant les critères originaux de l’ISHAM (2013), 78 diagnostics d’ABPA n’étaient pas diagnostiqués. Le principal résultat de cette étude était que les patients appartenant aux diverses entités « aspergillaires » sus définies, représentant 28% de l’ensemble des patients testés, présentaient une sévérité clinique (score BSI) et fonctionnelle (VEMS) accrue. Concernant le suivi à long terme, l’augmentation des IgG spécifiques anti-aspergillaires constituait un facteur de risque d’exacerbations (RR 1,19, IC95% 1,05-1,35, p=0,008) et d’hospitalisations (RR 1,66, IC95% 1,37-1,99, p<0,001), avec une tendance à une mortalité accrue chez les personnes atteintes d’ABPA (HR 1,40, IC95% 0,99-1,99, p=0,057). L’effet des corticostéroïdes inhalés semblait modeste, leur utilisation étant essentiellement associée à un moindre risque d’hospitalisation en cas de SA (RR 0,70, IC95% 0,54-0,90, p=0,006 vs RR 0,91, IC95% 0,54-1,52, p=0,71) ou d’augmentation isolée des IgG spécifiques anti-aspergillaires (RR 1,32, IC95% 1,04-1,68, p=0,02 vs RR 2,26, IC95% 1,68-3,02, p<0,001), sans effet significatif sur la mortalité, hormis en cas d’ABPA (HR 1,49 IC95% 1,02-2,19, p=0.040). Il reste donc à élucider si l’existence de stigmates de sensibilisation aspergillaire, plus ou moins marquée, est un simple témoin de la sévérité ou un réel facteur aggravant de la dilatation des bronches sous jacente.
Frédéric Schlemmer, Antenne de Pneumologie, Réanimation médicale, GH Henri Mondor, IMRB INSERM U955 équipe GEIC2O, Université Paris Est Créteil, 94010 Créteil
D’après la communication de J. Pollock, Aspergillus testing and disease outcomes in bronchiectasis : data from the EMBARC registry. Session C27. Am J Respir Crit Care Med 2024;209:A5173.