Dans une session dédiée au SAS Central, trois intervenants prestigieux se sont succédés pour présenter les dernières nouveautés sur le sujet. Et elles sont nombreuses ! Les échanges ont été de qualité entre les intervenants et la salle, qui était comble.
SAS central et risque cardiovasculaire : la fin de la controverse ?
Marie-Pia d’Ortho (Paris) a commencé par rappeler que le SAS central (SASC) était souvent moins symptomatique que le SAS obstructif (SASO), mais pas pour autant asymptomatique. Les symptômes les plus fréquents sont la nycturie, le trouble de maintien du sommeil, et la fatigue. À l’inverse, somnolence diurne excessive (SDE) et ronflements sont moins marqués.Le SASC a un impact pronostique sur la mortalité dans l’insuffisance cardiaque (IC) 1 2 3. Ainsi, dans l’étude de Damy et col., publiée en 2012, le pronostic était moins bon dans le SASC que dans le SASO 4. On retrouve également un doublement du risque de survenue d’AVC, même après ajustement, dans l’étude de Duran-Cantolla 5. Enfin, le SAS central est associé à un surrisque de survenue d’une fibrillation atriale, avec un rapport de risque de 1,7 à 1,9 sur modèle ajusté 6.
Il est difficile de dire si le SASC est un marqueur ou un facteur de risque cardiovasculaire. Néanmoins, une augmentation de la proportion d’apnées centrales est observée au fur et à mesure de la dégradation de la FEVG. En termes de physiopathologie, une augmentation du loop gain est constatée dans le SAS central, qui s’explique en partie par le transfert rostral de fluides. Ce dernier va provoquer un sub-oedème pulmonaire et stimuler les récepteurs irritatifs du poumon et les récepteurs à l’hypoxie. Cela induit une hyperventilation, qui elle-même va engendrer le cercle vicieux de l’apnée centrale. Par ailleurs, le travail récent de Rupprecht est en faveur d’un rôle de la dysautonomie globale 7. Sur 55 patients présentant une sténose carotidienne, une corrélation était constatée entre l’importance de la sténose d’une part, et l’indice d’apnée hypopnée (IAH) et la variabilité de la fréquence cardiaque (un marqueur de la dysautonomie) d’autre part.
Et si l’impact de la VAA était avant tout symptomatique ?
Jean-Claude Meurice (Poitiers) a rappelé quant à lui que les étiologies du SASC étaient multiples et ne se cantonnaient pas à l’insuffisance cardiaque, à FEVG préservée (pFEVG) ou altérée (aFEVG). La ventilation auto-asservie (VAA) permet d’administrer au patient une aide inspiratoire en miroir de son débit ventilatoire de base, et donc de corriger les apnées centrales sans favoriser l’hyperventilation. Elle est très efficace pour normaliser l’IAH, mais les études princeps étaient de faible envergure et de courte durée et ne pouvaient se prononcer sur la qualité de vie et les symptômes.
Si l’étude SERVE-HF 8 a montré des résultats décevants, avec une surmortalité toutes causes et cardiovasculaire dans le groupe ventilé. Elle concernait des patients à FEVG altérée et la VAA est désormais contre-indiquée chez les patients à FEVG < 45%. Dans le registre FACE, les patients étaient inclus sous VAA quelle que soit la FEVG, et il y avait une diminution de la proportion d’apnées centrales, du risque de mortalité toute cause et du risque de mortalité cardiovasculaire. Les données à trois mois ont concerné 503 patients inclus de 2009 à 2018, et ont permis d’établir six clusters de patients 9 . Le premier cluster est proche de SERVE-HF et a en effet un mauvais pronostic. Le cinquième cluster est celui des patients avec apnées centrales et pFEVG, et présente un bon pronostic à condition d’être adhérent à la VAA. À deux ans, on constate également chez les patients adhérents une amélioration du score de qualité de sommeil PSQI, du score d’Epworth et de la qualité de vie 10. Ces bons résultats sur la qualité de vie sont confirmés par ceux de l’étude ADVENT-HF, récemment publiée, qui a inclus 741 patients à FEVG altérée ventilés sur machine de marque Philips 11. Il n’était pas retrouvé de surmortalité comme dans SERVE-HF, et dès la mise en route de la ventilation, une amélioration était observée sur la qualité de vie, la somnolence, et les paramètres du sommeil (augmentation du sommeil lent profond et du sommeil paradoxal, diminution des micro-éveils). Dans le registre FAACIL-VAA (35 centres en France, sept ans de suivi prévus, étude en cours), l’efficacité était moins bonne pour les SAS centraux induits par les médicaments, mais le score SF36, le score de fatigue de Pichot et l’échelle d’Epworth étaient significativement améliorés à 6 mois.
Au final, on retrouve donc une bonne efficacité de la ventilation auto asservie pour soulager les symptômes, et elle reste possible chez les patients à FEVG normale.
Nouvelles recommandations sur le SAS central
Sandrine Launois (Neuilly-sur-Seine) a terminé cette passionnante session en présentant les grandes lignes des recommandations à paraître sous l’égide de la SPLF et de la SFRMS, sur la prise en charge du SASC. Elles feront l’objet très prochainement d’une publication dans la revue « Médecine du Sommeil ». Elles comportent 27 recommandations pour le diagnostic, dont 13 CORE (avis d’expert lorsque la littérature est insuffisante), dix recommandations pour le diagnostic dont 3 CORE, et 21 recommandations pour le traitement, dont 8 CORE. Elles spécifient bien les critères diagnostiques de SAS central, d’hypopnée centrale, de respiration de Cheyne Stokes, la place du bilan complémentaire étiologique et préthérapeutique, et simplifient la prise en charge par rapport aux recommandations européennes précédentes.
Dr Justine Frija, Service de physiologie, explorations fonctionnelles, hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris
D’après la session A05 « Les différentes facettes du Syndrome d’Apnées Centrales du Sommeil (SACS) » du vendredi 24 janvier 2024 et les communications :
• « SACS central et risque cardio-vasculaire : fin de la controverse ? » de Marie-Pia D’ortho-Jarreau (Paris)
• « Et si l’impact de la pression auto-asservie était avant tout symptomatique ? » de Jean-Claude Meurice (Poitiers)
• « Nouvelles recommandations sur la prise en charge du SACS » de Sandrine Launois (Neuilly Sur Seine)
- Lanfranchi PA, Braghiroli A, Bosimini E, et al. Prognostic value of nocturnal Cheyne-Stokes respiration in chronic heart failure. Circulation 1999;99:1435-40. ↩
- Sin DD, Logan AG, Fitzgerald FS, Liu PP, Bradley TD. Effects of continuous positive airway pressure on cardiovascular outcomes in heart failure patients with and without Cheyne-Stokes respiration. Circulation 2000;102:61-6. https://doi.org/10.1161/01.cir.102.1.61. ↩
- Javaheri S, Shukla R, Zeigler H, Wexler L. Central sleep apnea, right ventricular dysfunction, and low diastolic blood pressure are predictors of mortality in systolic heart failure. J Am Coll Cardiol. 2007;49:2028-34. https://doi.org/10.1016/j.jacc.2007.01.084. ↩
- Damy T, Margarit L, Noroc A, et al. Prognostic impact of sleep-disordered breathing and its treatment with nocturnal ventilation for chronic heart failure. Eur J Heart Fail. 2012;14:1009–19. https://doi.org/10.1093/eurjhf/hfs085. ↩
- Muñoz R, Durán-Cantolla J, Martinez-Vila E, et al. Central sleep apnea is associated with increased risk of ischemic stroke in the elderly. Acta Neurol Scand. 2012;126:183–8. https://doi.org/10.1111/j.1600-0404.2011.01625.x. ↩
- Tung P, Levitzky YS, Wang R, et al. Obstructive and Central Sleep Apnea and the Risk of Incident Atrial Fibrillation in a Community Cohort of Men and Women. J Am Heart Assoc. 2017;6:e004500. https://doi.org/10.1161/JAHA.116.004500. ↩
- Rupprecht S, Hoyer D, Hagemann G, Witte OW, Schwab M. Central sleep apnea indicates autonomic dysfunction in asymptomatic carotid stenosis: a potential marker of cerebrovascular and cardiovascular risk. Sleep 2010;33:327–33. https://doi.org/10.1093/sleep/33.3.327. ↩
- Cowie MR, Woehrle H, Wegscheider K, Angermann C, d’Ortho M-P, Erdmann E, et al. Adaptive Servo-Ventilation for Central Sleep Apnea in Systolic Heart Failure. N Engl J Med 2015;373:1095–105. https://doi.org/10.1056/NEJMoa1506459. ↩
- Tamisier R, Damy T, Bailly S, Davy J-M, Verbraecken J, Lavergne F, et al. Adaptive servo ventilation for sleep apnoea in heart failure: the FACE study 3-month data. Thorax 2022;77:178–85. https://doi.org/10.1136/thoraxjnl-2021-217205. ↩
- Tamisier R, Damy T, Bailly S, Goutorbe F, Davy J-M, Lavergne F, et al. FACE study: 2-year follow-up of adaptive servo-ventilation for sleep-disordered breathing in a chronic heart failure cohort. Sleep Med 2024;113:412–21. https://doi.org/10.1016/j.sleep.2023.07.014. ↩
- Bradley TD, Logan AG, Lorenzi Filho G, Kimoff RJ, Durán Cantolla J, Arzt M, et al. Adaptive servo-ventilation for sleep-disordered breathing in patients with heart failure with reduced ejection fraction (ADVENT-HF): a multicentre, multinational, parallel-group, open-label, phase 3 randomised controlled trial. Lancet Respir Med 2023:S2213-2600(23)00374-0. https://doi.org/10.1016/S2213-2600(23)00374-0. ↩