Depuis peu, des pictogrammes « Grossesse 5 danger » ou « Grossesse 5 interdit » ont fait leur apparition sur certaines boîtes de médicaments anti-asthmatiques. D’où vient cette initiative et qu’en penser ? Nous avons échangé avec Élisabeth Eléfant, médecin responsable du centre de référence sur les agents tératogènes pour en savoir plus.
Élisabeth Elefant
CRAT — Centre de référence sur les agents tératogènes – Hôpital Armand Trousseau 26, avenue Dr Arnold Netter, 75012 Paris crat.secretariat.trs@aphp.fr
L’auteur n’a pas de lien d’intérêt avec cet article.
[hr]Depuis quand ces pictogrammes sont-ils apparus ?
Depuis le 17 octobre 2017, les fabricants de médicaments sont tenus d’apposer un pictogramme « Interdit » ou « Danger » en cours de grossesse sur certaines de leurs spécialités.
Cette mesure fait suite à un décret publié en avril 2017, elle s’applique sur la base des données figurant dans leur RCP.1
Cette mesure est-elle européenne ou franco-française ? Pour le moment à ma connaissance elle est française. Mais un débat se prépare au niveau européen.
Comment les autorités de santé ont-elles informé les médecins et les patients de ces dispositions ? Le 13 octobre dernier, la Direction générale de la santé (DGS) a adressé par voie électronique un message via sa messagerie DGS-urgent. On pouvait lire : « Un pictogramme femmes enceintes » sera apposé, à partir du 17 octobre 2017, sur les boîtes de médicaments présentant des risques pour les femmes pendant leur grossesse. Il permet une meilleure visibilité de l’information relative aux risques tératogènes et foetotoxiques des médicaments pris durant la grossesse. Cette information est déjà signalée dans la notice et le résumé des caractéristiques du produit. Vous pouvez être sollicités par les femmes enceintes ou en âge de procréer qui souhaiteront avoir des conseils ou de plus amples informations sur ce pictogramme.
Deux modèles de pictogrammes seront apposés sur les boîtes de médicaments concernés :
- un pictogramme « danger » qui signale aux patientes que le médicament doit être utilisé uniquement s’il n’y a pas d’autre médicament disponible ;
- un pictogramme « interdit » qui signale aux patientes que le médicament ne doit pas être utilisé.
Un dépliant et une affichette d’information sont téléchargeables sur le site du ministère.2, 3
Ils rappellent notamment aux patientes qu’il est impératif que toute femme prenant un médicament comportant l’un de ces deux pictogrammes n’arrête pas son traitement sans consulter au préalable son médecin, sa sage-femme, ou s’informer auprès de son pharmacien.
Il faut noter qu’il s’agit de la seule mesure d’information des professionnels de santé qui n’a donc concerné que les seuls abonnés de la « serv-list » de la DGS.
Êtes-vous d’accord avec cette mesure ?
La réponse est que l’intention n’est pas mauvaise, mais que l’application est tout à fait contre-productive. Nous l’avons fait savoir à l’Ansm, la Direction générale de la santé (DGS), l’Académie de médecine et à laministre de la Santé. Nous sommes en désaccord avec certains points de ces directives, et pas des moindres, comme c’est en particulier le cas avec les médicaments de l’asthme. Pour ceux-là, voir apposer le pictogramme « Danger » est une aberration. En 2018, ces dispositions vont s’appliquer progressivement à près de 60-70 % des spécialités, ce qui va poser d’énormes problèmes de prescription et de délivrance. Cette disposition nous semble très mal ficelée et à notre connaissance les sociétés savantes n’ont pas été concertées au préalable.
S’agissant de l’asthme ce pictogramme ne risque-t-il pas de susciter des interrogations, voire une défiance néfaste, de leur part des patientes ?
C’est déjà le cas. Mais la communauté des pneumologues, donc vos lecteurs, est sans doute aux avants-postes pour le remarquer.
Quelle position affichez-vous sur le site du Crat ?
Comme stipulé aux autorités, nous resterons sur notre analyse usuelle des données et sur nos positions. Nous proposons une classification des molécules par dangerosité en cours de grossesse. 4
Notez que l’association (formotérol 1 budésonide) n’en fait pas partie, et peut donc être utilisée selon le schéma usuel que nous indiquons sur notre site, sans recherche d’alternatives thérapeutiques. Or la boîte de ce produit affiche désormais le pictogramme…
Même la boîte de salbutamol est concernée ! Pour mieux informer les patients nous avons mis en ligne une note d’information depuis début février 2018 (voir encadré).
Que dire aux patientes ?
Que les médicaments comportant un risque malformatif ou foetotoxique avéré sont rares sur le marché à ce jour. Que cette information, quand elle existe, figure déjà dans les notices des conditionnements et que pour plus de précision les patientes doivent se rapprocher de leur prescripteur ou de leur pharmacien. Pour les pictogrammes déjà apposés, il s’agit d’une démarche qui n’est pas validée scientifiquement et qui s’apparente en l’état à un dispositif de protection médico-légale plutôt qu’à une information médicale éclairée et adaptée à chaque patiente.
[hr]InfoRespiration N°143- Février 2018
- http://lecrat.fr/articlePrint.php?id_article=1034 ↩
- http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/depliant_femmes-enceintes_vf.pdf ↩
- http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/affiche_a3-femmes-enceintes_vf.pdf ↩
- Voir site internet (Médicaments dangereux, en bas à droite de la page d’accueil du site) : http://lecrat.fr/articlePrint.php?id_article=742. ↩