Traitement substitutif par alpha-1 antitrypsine d’origine humaine chez les patients avec un déficit profond : une alternative avec une protéine recombinante est-elle en vue ?

Les patients présentant un déficit profond en alpha-1 antitrypsine (AAT) sont depuis les années 1980 des candidats potentiels à l’administration intraveineuse (IV) de perfusions d’AAT d’origine humaine, sous réserve qu’ils satisfassent les critères d’éligibilité. Néanmoins, outre leur coût, ces perfusions doivent être réalisées de façon hebdomadaire car la demi-vie de l’AAT est courte (environ 6 jours) et le taux sérique résiduel visé est situé au-dessus du seuil supposé être protecteur (11 µM), qui représente la moitié du taux normal d’AAT. De plus, cette substitution est soumise à des problèmes d’approvisionnement. Les premiers résultats encourageants d’une étude de phase 1 utilisant une AAT humaine recombinante appelée INBRX-101, optimisée pour avoir une longue demi-vie (protéine de fusion associant 2 molécules d’AAT humaine et le fragment Fc d’une immunoglobuline) avaient été présentés l’année dernière sous forme d’affiche. Des résultats plus complets de cette étude ont été présentés sous forme de communication orale au cours de la session C15.

Cette étude visait à tester la sécurité d’emploi de cette protéine et sa capacité à maintenir un taux sanguin d’AAT >20 µM avec un intervalle d’administration élargi. La phase préclinique a montré la capacité de la protéine à pénétrer dans le poumon après une perfusion IV, à inhiber l’élastase du neutrophile et à résister à l’oxydation, ce qui lui confère une demi-vie allongée. Cette protéine peut être produite à un niveau commercial. L’étude prévoyait d’administrer des doses IV uniques de 10 mg/kg (n=6), 40 mg/kg (n=6), 80 mg/kg (n=6) et 120 mg/kg (n=6) à 24 patients avec déficit en AAT.  Dans une seconde partie, 18 patients devaient recevoir 3 doses de 40, 80, ou 120 mg/kg toutes les 3 semaines en perfusion. Les critères principaux de jugement étaient la tolérance et la sécurité d’emploi de l’INBRX-101. Les critères secondaires étaient la pharmacocinétique, la pharmacodynamie et l’immunogénicité. En tout, 31 patients (âge moyen 55 ans, 60% de femmes, VEMS moyen 81%th, principalement avec phénotype Z) ont participé à l’étude. La majorité (n=26) des patients a terminé l’étude. Cinq d’entre eux sont sortis d’étude pour raisons diverses (COVID 19, consentement retiré, déménagement) mais aucun en raison d’effets secondaires.  Des effets secondaires mineurs ont été constatés chez 8 patients, tous de grade 1 ou 2 (quelques cas de fatigue, d’élévation de tension artérielle et de prurit transitoires), alors que 2 patients ont présenté des effets secondaires sérieux (récidive de Hodgkin, tachycardie sinusale). Aucun effet secondaire n’a conduit à l’arrêt de l’étude. L’étude pharmacocinétique a mis en évidence une demi-vie de 15 à 18 jours selon les doses utilisées, c’est-à-dire franchement plus longue que celle observé après administration d’AAT humaine. Les doses de 80 et 120 mg/kg ont permis d’obtenir des taux sanguins d’AAT dans la fourchette des taux normaux (23-57 µM) à 3 semaines de la dernière injection des doses répétées (2ème partie de l’étude), permettant d’envisager une injection toutes les 3 semaines. Avec des doses répétées de 120 mg/kg, un taux d’AAT dans la fourchette normale était même observé pendant 4 semaines. Des anticorps anti INBRX-101 ont été détectés chez 9 patients, préexistants au traitement chez 3 d’entre eux. L’INBRX a été retrouvé dans le liquide de recouvrement alvéolaire en quantité dose-dépendantes, la meilleure pénétration étant observée avec la dose de 120 mg/kg.  Ces résultats ouvrent la voie à une étude contrôlée de phase 2 en cours de recrutement appelée ELEVAATE qui va comparer une substitution par INBRX-101 administré à la dose de 120 mg/kg toutes les 3 semaines à une substitution classique par perfusion hebdomadaire d’AAT humaine (NCT05856331). Cette voie semble donc représenter un espoir sérieux d’avancée thérapeutique pour les patients avec déficit en AAT.


Hervé Mal, Service de pneumologie et transplantation pulmonaire, Hôpital Bichât, 46 rue Henri Huchard, Paris

D’après la communication de B. T. Kuhn et al. Recombinant human Alpha-1 Antitrypsin (AAT) protein INBRX-101 demonstrates potential to achieve lung penetration and normal   functional serum AAT levels in patients with AAT deficiency. Am J Respir Crit Care Med 2023; 207: A4492 (session C15)

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