La dyspnée peut être à l’origine d’un handicap respiratoire sévère chez les patients porteurs d’une bronchopneumopathie chronique sévère (BPCO). Les opiacés sont actuellement la seule option pharmacologique susceptible de soulager ce symptôme. Pourtant, la prescription de morphine dans ce cadre reste rare. La faute à qui ?
A l’occasion d’une session « Clinical Year in Review », A. Iyer a présenté les résultats d’un nouvel essai randomisé contrôlé contre placebo (1). Cette étude confirme l’efficacité et la sécurité d’emploi de la morphine à faible dose (10 mg par jour, en utilisant une forme à libération prolongée, pendant 4 semaines) chez 111 patients BPCO (âge moyen : 65,4 ans, VEMS moyen : 38%, PaCO2 moyenne : 40,4 mmHg).
Quatre cent soixante-quatre patients BPCO avec une dyspnée sévère (mMRC entre 2 et 4) malgré un traitement inhalé maximal et la réalisation d’une réhabilitation respiratoire étaient éligibles dont seulement 54 ont refusés de participer car ils avaient peur des effets indésirables de la morphine. Parmi les 124 patients inclus, seulement 6 patients ont interrompu l’étude en raison d’effets secondaires de la morphine, essentiellement digestifs. Le score CAT diminue de 2,18 points (de -4,14 à -0,22 points, p = 0,03) dans le groupe morphine et le score de dyspnée la pire ressentie au cours des 24 dernières heures (la cotation est effectuée sur une échelle numérique, de 0 à 10, le pire essoufflement imaginable) diminue de 1,33 points (de -2,50 à -0,16 points, p = 0,03) dans le groupe morphine. Les autres symptômes, notamment la toux ou la somnolence, ne sont pas modifiés. Il n’y a pas d’élévation significative de la dyspnée avec une variation de la PaCO2 de + 1,19 mmHg (de -2,70 à + 5,07 mmHg, p = 0,55) dans le groupe morphine. Aucune hospitalisation ni aucun décès en rapport avec le traitement opioïde n’ont eu lieu pendant la durée de l’étude.
Une étude au design original, rapportée par A. Trainor, recherche quels facteurs limitent la prescription de morphine chez les patients BPCO. Cent cinquante-huit praticiens (dont 30% sont des internes) au sein de dix hôpitaux universitaires ont répondu à un questionnaire web. Il est composé de deux parties distinctes. La 1ère est un questionnaire classique permettant une auto-analyse de la pratique. Les médecins disent s’il y a une indication théorique, c’est-à-dire en général, à la prescription de morphine dans quatre situations cliniques mettant en scène des patients BPCO essoufflés : 1/ consultation externe ; 2/ consultation aux urgences ; 3/ patient sous ventilation mécanique et 4/ patiente en fin de vie. La 2nde présente les mêmes situations sous forme de vignettes mettant en pratique la prescription de morphine. Pour chaque situation clinique, la prescription de morphine est significativement plus faible lors de la mise en perspective pratique (de 5 à 20% en fonction de la vignette, par rapport à l’indication théorique reconnue). Le manque d’expérience dans la prescription d’opiacés est la raison avancée dans 38 à 52% des cas. Cela laisse présager d’une marge importante de progression…
L’administration de faibles doses de morphine chez des patients porteurs d’une BPCO modérée à très sévère souffrant de dyspnée malgré une prise en charge étiologique optimale est donc sûre et efficace. Il semblerait qu’à ces doses la morphine n’entraîne pas d’hypoventilation alvéolaire significative. Cette crainte de la dépression respiratoire ne doit pas être un frein à la prescription. La sensibilisation des pneumologues et leur formation à cette pratique devrait permettre une progressive démocratisation de la prescription d’opiacés afin de soulager la dyspnée.
Marjolaine Georges, Service de Pneumologie et Soins Intensifs Respiratoires, CHU Dijon Bourgogne, Dijon
D’après les communications suivantes :
A. Iyer. Palliative care.
Session A021 : Clinical year in review 1
A. Trainor. Pulmonary critical care physicians self-reported opioid prescribing practices for dyspnea vary when faced with clinical vignettes versus general scenarios. Am J Respir Crit Care Med 2021;203:A1636
Session TP015 :Updates in adherence and treatment of lung disease