Au cours de la session d’actualité sommeil, le Pr Trzepizur a présenté la prévalence du syndrome d’apnées-hypopnées obstructives du sommeil au cours de la grossesse et les comorbidités associées. L’intérêt de la PPC a également été discuté.
Comme l’a rappelé le Pr Trzepizur (Angers), le sommeil est globalement perturbé chez la femme enceinte, de façon subjective (altération du score de Pittsburgh PSQI, plus marquée au troisième trimestre) et objective (augmentation de la veille intra-sommeil, diminution de l’efficacité de sommeil, des stades N3 et REM au profit des stades N1 et N2 en polysomnographie). Les causes en sont multiples : nycturie, mouvements fœtaux, RGO, crampes, rhinite…
Rationnel physiopathologique du SAHOS durant la grossesse
Lors de la grossesse, la contractilité des muscles pharyngés est plus faible, notamment du fait de la privation de sommeil 1. L’augmentation du stade N2 au détriment du stade N3, stade de grande stabilité des voies aériennes supérieures (VAS), augmente le risque d’événements respiratoires. On constate également chez la femme enceinte une hyperréactivité des centres respiratoires, avec une pente plus raide de réponse au CO2 et un loop gain plus élevé. Enfin, il existe une diminution du diamètre pharyngé au scanner 2. Cette diminution est liée d’une part au transfert rostral de fluides, augmentée par la rétention hydrosodée, d’autre part à une traction trachéale moins importante du fait de la diminution de la CRF pendant la grossesse. L’ensemble de ces éléments favorisent la survenue d’un SAHOS pendant la grossesse.
Prévalence du SAHOS et des comorbidités associées
La prévalence du SAS augmente au cours de la grossesse, de 3% en début de grossesse à 7% en fin de grossesse, avec 1% de SAS modéré à sévère dans une étude polygraphique ayant porté sur 3705 nullipares sans antécédent connu de SAS 3. Dans une méta-analyse de 2019, la prévalence du SAHOS pendant la grossesse à environ 5% en Europe, contre 20% aux États-Unis, mais cette importante différence est probablement liée en partie à la méthodologie des études menées 4. Une augmentation de la prévalence entre le deuxième et le troisième trimestre est également rapportée. Les facteurs de risque identifiés d’un SAHOS gestationnel mis en évidence dans la littérature sont l’âge, l’IMC (de début ou de fin de grossesse) et la présence d’une HTA préalable 5 , 6.
Les conséquences d’un SAHOS gestationnel
Le SAHOS est responsable d’une augmentation du risque de pré-éclampsie, avec un risque doublé (Oddds Ratio (OR) à 2), même après ajustement sur l’IMC, l’âge, les antécédents d’hypertension artérielle (HTA) ou laprise de poids pendant grossesse. Le risque d’HTA gravidique (OR à 1,7) et de diabète gestationnel (OR à 3) est également augmenté 7. Il est probable qu’il existe un impact du SAHOS même lorsque l’indice d’apnées-hypopnées (IAH) est faible (5-15/h), mais on manque d’études randomisées à ce sujet. Une méta-analyse, ce surrisque lié au SAS (et aux autres pathologies du sommeil) a été confirmé, avec également une augmentation du risque de prématurité, de faible poids de naissance et de césarienne 8. Les conséquences sont donc doubles : pour la mère et l’enfant.
Enfin, il existe de données qui pourraient incriminer le SAHOS dans le caractère transmissible de l’obésité, par épigénétique. On retrouve en effet chez les femmes enceintes présentant un SAS, un placenta plus volumineux et plus riche en leptine, et chez le bébé une masse grasse plus importante à la naissance, malgré des poids de naissance plus faible 9. Chez la souris gestante, l’hypoxie intermittente chronique (un modèle expérimental de SAHOS) dans les derniers jours de gestation provoque un plus faible poids de naissance, un placenta plus volumineux. Davantage de marqueurs de stress oxydant et d’inflammation sont présents, ainsi que des signes de dysfonction endothéliale au niveau des artères utérines 10. Chez la progéniture, la fragmentation du sommeil de la mère pendant la gestation entraîne une augmentation de la prise de nourriture et de la prise de poids, une modification du profil d’insulinorésistance et de l’expression de l’adiponectine 11.
L’impact du traitement par PPC sur l’évolution de la grossesse
Il n’est pas encore bien démontré. Dans l’étude de Chirakalwasan, les patientes présentant un IAH > 5/h, un diabète gestationnel contrôlé sous régime, bénéficiaient d’un traitement par pression positive continue (PPC) autopilotée pendant deux semaines dans le bras contrôle12. L’observance de plus de 4 h n’était atteinte que chez 46,7% des patients, et il n’y avait pas de différence sur la tolérance au glucose ; Une diminution du taux de césarienne, de prématurité ou de risque d’admission du bébé en soins intensifs était observée en per protocole chez les patientes observantes. Dans une étude plus récente, les patientes présentant un IMC > 30 kg/m2 et un IAH entre 5 et 50/h étaient incluses et randomisées dans deux bras (43 patientes par groupe) : PPC autopilotée ou procédure fictive/absence de traitement 13. Un critère composite de jugement principal (index de pulsatilité de l’artère utérine, endogline, FMS-like tyrosine kinase 1 soluble, facteur de croissance placentaire) était utilisé, et au final il n’était modifié que chez les patientes observantes (18% des patientes seulement). Enfin, dans une étude de 2023, les patientes étaient éligibles si elles présentaient une HTA, une obésité, un antécédent de prééclampsie ou de diabète 14. Sur les 1000 patientes éligibles, seules 385 ont accepté de participer, ce qui souligne la difficulté de proposer le traitement à des patientes souvent déjà très médicalisées. L’IMC pré-grossesse moyen était de 29,6 kg/m2, 32% des patientes avaient un score d’Epworth pathologique, et l’IAH moyen était de 7/h. L’observance moyenne était faible : 2,5 h en moyenne (SD 2,5), 1,7 en médiane. Néanmoins, en intention de traiter, une diminution de la pression artérielle diastolique et moyenne, ainsi que du risque de prééclampsie et d’HTA gravidique, était constaté.
Pour finir, les recommandations nord-américaines 15 préconisent de réaliser systématiquement un STOP-BANG de dépistage, puis de diagnostiquer par polygraphie ambulatoire. Le traitement par PPC (autopilotée) a pour objectif premier de soulager les symptômes. Il faut souligner les difficultés d’accès au diagnostic (durée de gestation versus délai d’accès aux enregistrements du sommeil) et l’intérêt des procédures alternatives de diagnostic comme l’étude des mouvements mandibulaires ou de la tonométrie de pouls.
Dr Justine Frija, Service de physiologie, explorations fonctionnelles, hôpital Bichat-Claude Bernard, Paris
D’après la communication « SAHOS et grossesse : une association délétère complexe » du Pr Wojciech Tzrepizur (Angers) – Session « Le SAHOS aux différentes étapes de la vie » du samedi 27 janvier 2024
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